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QUID JURIS

LE CONTRAT CONCLU POUR UNE TÂCHE DÉTERMINÉE : UN INTRUS EN DROIT DU TRAVAIL MAROCAIN.

Auteur (s):

Caroline Keime

Note:

Les informations contenues dans la présente lettre d’information Quid Juris fournies par le cabinet d’avocats Hajji & Associés ne constituent pas un avis juridique sur l’un des sujets mentionnés ci-dessus et ne sauraient engager la responsabilité d’aucun des avocats du cabinet.
Bien connu de tous, les contrats à durée déterminée (« CDD ») et à durée indéterminée (« CDI ») n’ont plus de secret pour les adeptes et praticiens de notre droit social marocain.
Oublié pour sûr, le contrat conclu pour une tâche déterminée demeure une troisième option fantomatique qui ne reste que peut pratiqué dans nos sociétés. Néanmoins, il va s’en dire que pour être présent dans notre droit, une attention particulière mérite de lui être apportée.
Ce lien hybride, héritant à la fois de la limitation de durée du CDD et de la plupart des effets du CDI, a pour vocation d’être conclu pour la réalisation d’un projet d’ampleur, telle que la réalisation d’infrastructures.
Avide de connaissance, voici une présentation succincte de ce mécanisme particulier, offerte par le droit marocain.

1. Arsenal juridique

Le contrat de travail peut être conclu « pour une durée indéterminée, pour une durée déterminée ou pour accomplir un travail déterminé » (Article 16, loi numéro 65-99 formant code du travail, promulguée par le Dahir du 11 septembre 2003)
Le régime commun définit des règles applicables à tous types de contrat, c’est le cas, par exemple, pour le temps de travail, les congés ou encore les obligations de l’employeur.
Mais à chaque principe son exception : certains aspects demeurent uniques à leur régime, comme par exemple la formation et rupture du contrat de travail.
Le code du travail se révèle être lacunaire pour le contrat conclu pour un travail déterminé (« CTD »). Une place défavorable est aujourd’hui consacrée à ce régime, qui se trouve être victime d’une absence totale de dispositions législatives précises.
Quelles conséquences cela peut-il engendrer ?
La première conséquence, qui n’est pas des moindres, concerne le risque d’une requalification judiciaire de ce contrat en contrat à durée indéterminée. Bien que faisant partie intégrante de l’arsenal juridique du droit social marocain, ce contrat voit pour seconde conséquence, son usage se raréfier. A tort, puisqu’il est parfaitement adapté aux besoins de secteurs primordiaux tels que les travaux publics, les marchés publics ou autres projets d’infrastructures.

2. Un régime spécifique dérivé du droit commun

Pour comprendre le régime exotique du contrat conclu pour un travail déterminé, il nous faut retourner sur les bases juridiques du CDI et du CDD.

Un champ d’application propre, pour tous types de contrats.

Bénéficiant d’une situation privilégiée par rapport aux autres, le contrat à durée indéterminée se distingue d’eux en s’appliquant a fortiori. En effet, il se place en tant que contrat de droit commun, se formant à défaut de recours d’un des cas de contrat à durée déterminée.
A quel moment décide-t-on de recourir au CDD ?
Le CDD ne peut être utilisé que pour trois situations limitativement énoncées, que sont le remplacement d’un salarié en cas de suspension de son contrat de travail pour un motif autre que la grève, l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, ou en présence du caractère saisonnier du travail à réaliser.

Les distinctions entre ces deux contrats se retrouvent au sein de l’article 14 du code du travail, qui fixe les
durées maximales de période d’essai.

Concernant le CDI, celle-ci ne peut dépasser une durée maximale trois mois pour les cadres et assimilés, un mois et demi pour les employés, et quinze jours pour les ouvriers.
Concernant le CDD, la durée maximale est fixée en fonction de l’importance de la période de mise en oeuvre du travail. Ainsi, elle ne peut dépasser une journée par semaine travaillée pour une durée inférieure à six mois dans la limite maximale d’une période d’essai de deux semaines, et un mois pour les contrats d’une durée supérieure à ce seuil.

Une rupture, en somme, protectrice des parties.

Du fait de sa courte durée, le CDD, qui ne peut être conclu que pour une période d’une année renouvelable une fois, relève d’un régime spécifique relatif au licenciement. En effet, durant ce laps de temps, la rupture avant terme ne peut avoir lieu que pour faute grave de l’une des parties, ou un cas de force majeure. Le cas échéant, la rupture serait injustifiée, et l’employeur est contraint de payer des indemnités de licenciement représentant l’intégralité des salaires qui auraient dû être payés entre la date de la rupture et le terme du contrat.
Le CDI, quant à lui, peut être rompu unilatéralement par chaque partie, conformément au principe de prohibition des engagements perpétuels. Des conditions doivent être respectées, à la fois de forme, ou de fond avec les délais de préavis prévus. De plus, en cas de résiliation unilatérale du CDI par l’employeur, l’employé bénéficie d’indemnités calculées au pro rata de son ancienneté.

Sans oublier le contrat de mise à disposition

En plus de ces deux contrats principaux, on peut également noter l’existence de contrats de mise à disposition (« CTT ») conclus avec des entreprises de travail temporaire. Ces contrats permettent à une société d’avoir recours à des salariés pour effectuer des tâches déterminées. Ces recours sont autorisés dans les mêmes conditions que le CDD, avec adjonction d’une possibilité pour les travaux qui, de par coutume et de par leur nature, ne font pas habituellement l’objet d’un CDI.
Le régime de ce CTT est précisément défini par l’obligation rédactionnel d’un contrat écrit comportant certaines indications. Ce contrat peut être conclu pour une durée maximale de 6 mois non renouvelable ou pour la durée de suspension du contrat de travail du salarié remplacé.

3. La nature hybride de ce contrat, délaissé par le droit marocain.

Le CTT se rapproche du régime juridique des contrats à durée déterminée, en raison de la durée limitée reconnue aux deux contrats.
.Par ailleurs, en cas de résiliation du CTT, les indemnités de licenciement seraient calculées par rapport à l’ancienneté du salarié, sans prendre en compte la durée restante jusqu’à l’expiration du contrat. Ce qui reflète la pratique retenue en cas de contrat à durée indéterminée.
Ces deux démonstrations illustrent parfaitement le caractère hybride de ce contrat particulier.
Nonobstant l’aspect temporel du contrat pour un travail déterminé, le régime tend alors à se rapprocher du CDI. En effet, sa durée, relative à la durée du travail à accomplir, n’est pas préalablement déterminée par le contrat de travail. Contrairement au CDD, la durée du CDT peut dépasser la période effective d’un an. Cette durée pouvant s’étendre sur plusieurs dizaine d’années. A l’exemple de projet de grande ampleur, telle que la réalisation de projets d’infrastructures conséquents (ponts, barrages, autoroutes…).
Selon la nature du travail, le CTD peut s’éloigner de la situation précaire à laquelle est souvent attachée le CDD en raison de sa durée limitée.
Le régime du CTD doit déterminer l’objet ainsi que la nature du travail à accomplir.
La limite de ce type de contrat repose sur le respect de la prohibition des engagements perpétuels, pour ainsi dire le travail ne doit pas être ad vitam aeternam.
Le code du travail marocain est critiquable quant à l’élaboration juridique du CTD qui n’est pas suffisamment développé par le législateur. Il semble alors qu’à défaut de précision des textes, et puisque le contrat de droit commun étant le CDI, le régime de ce dernier s’appliquerait. Le législateur a tout à fait intérêt à intervenir rapidement pour détailler et préciser ce régime.

4.Le CTD : un contrat susceptible de requalification.

Les dispositions de l’article 18 du code du travail n’imposent pas de formalités particulières pour la conclusion d’un contrat de travail, il n’en est pas de même pour les CTD.
Il est nécessaire que le contrat soit établi par écrit et qu’il définisse clairement différents éléments, parmi lesquels le terme du contrat et le travail déterminé pour lequel celui-ci a été conclu. Le cas échéant, un risque important de requalification par le juge du CTD en CDD est encouru.
QUID DE LA PERIODE D’ESSAI ? DU CALCUL DES INDEMNITES DE LICENCIEMENT ? DE LA DUREE DE PREAVIS ?
La requalification, en question, met à la charge de l’employeur une obligation de verser des indemnités. Ces dernières étant habituellement imposées en cas de rupture d’un CDD ou d’un CDI.
Le régime du CTD permet à l’employeur de rompre le contrat, lors de l’achèvement du projet, sans être dans l’obligation de verser une indemnité de fin de contrat. En cas de requalification du CTD en CDI ou en CDD, l’employeur devient assujetti et sera contraint de se soumettre aux règles du CDI et CDD. L’employeur devient la première victime d’une telle requalification, et pour cause il est contraint à verser des indemnités de licenciement, soit une perte financière conséquente qui aurait pu être évitée.
D’autres aspects sont susceptibles de se révéler problématiques en cas de conclusion d’un CTD, notamment le sujet relatif à la période d’essai. La durée du préavis, lors d’une période d’essai, est différente selon que l’on soit en présence d’un CDI ou d’un CDD. En matière de CTD, le législateur marocain demeure muet quant à ce sujet. Pour pallier ce problème, la lettre d’engagement se présente comme étant le meilleur moyen légal à ce jour.
Comment peut-on définir la lettre d’engagement ? Tout comme la période d’essai, son objectif est d’évaluer les compétences du salarié lors d’une courte durée supervisée par l’employeur. Si cette dernière se révèle être concluante, un CTD pourra alors être conclu.

5. Une approche étrangère.

Le droit français connaît également un contrat, qui, par sa durée plus importante que celle du CDD, se voit appliquer un régime hybride. Instauré par la Loi du 20 décembre 2014 : le « contrat de travail à durée déterminée à objet défini » possède de nombreuses similitudes avec le CTD marocain.
Bien que disposant de conditions distinctes, telle qu’une fixation de durée moins libre que les CTD marocains puisqu’il doit être conclu pour une période comprise entre 18 et 36 mois, il n’en demeure pas moins équivalent en ce qu’il permet la réalisation d’une tâche précise et temporaire. De plus, son but est de permettre une réponse adaptée aux nécessités économiques, tout comme l’est le CTD marocain (article L. 1242-2 du code du travail français).
Le droit social français prévoit de nombreuses dispositions précisant le régime applicable. Par exemple, pour ce qui relève de la rupture du contrat, elle peut être effectuée par accord mutuel des parties ou par un motif réel et sérieux d’une des partie (article L1243-1 du code du travail). Une échéance est instaurée, ainsi on mentionne une rupture envisageable dans un délai de 18 mois, et à chaque date d’anniversaire de la conclusion du contrat.
Un délai de prévenance doit être respecté, il est d’une durée minimale de 2 mois, en raison de la réalisation de l’objet pour lequel contrat a été conclu (article L1243-5 du code du travail)
Il est également disposé que tout employé soumis à ce type de contrat bénéficie d’une position prioritaire à tout autre pour l’obtention d’un contrat à durée indéterminée dans l’entreprise.
Sur la forme ce contrat doit contenir des mentions obligatoires dans l’écrit constatant ce contrat de travail (article L. 1242-12-1 du code du travail français). Ainsi on doit retrouver l’inscription de la mention « contrat à durée déterminée à objet défini », l’intitulé exact du contrat, une description du projet, des tâches à effectuer, sa durée prévisible, l’évènement ou le résultat objectif marquant la fin de la relation contractuelle, ainsi que la mention des possibilités de rupture anticipées de ce contrat ou de reconduite en contrat à durée indéterminée.

Que faut-il en retenir ?

L’esprit que le législateur a voulu consacrer à ce contrat conclu pour une tâche déterminée, a pour principal objectif de répondre aux besoins des instigateurs de grands projets. Malgré l’entremise d’une démarche prometteuse, le CTD n’a pas obtenu le succès escompté. La justification apparente de cet échec serait le manque de sécurité juridique de ce type de contrat.
Grâce à une rédaction appropriée du contrat de travail, ainsi qu’une gestion adéquate de l’incertitude partielle de son régime, il est possible de limiter les risques de requalification. Une fois cette sécurisation réalisée, le contrat conclu pour un travail déterminé devient alors un outil juridique approprié et efficace, à la disposition des employeurs exerçant au Maroc. Une démocratisation de ces contrats est nécessaire, aussi bien au Maroc qu’en France.